L’approche proposée amène par des poses (āsana) et des mouvements, ainsi que par le travail du souffle, à observer les sensations corporelles et prendre conscience des restrictions qui empêchent notre corps de fonctionner librement.
Dans cette présence à la tactilité du corps, nous quittons le domaine de la pensée pour entrer dans le champ de la disponibilité. Le lâcher-prise graduel des résistances permet de retrouver un état d’apaisement qui pointe vers le silence.
Ainsi sans aucune attente ni volition, tout en rencontrant nos tensions, le déploiement de l’écoute révèle le corps en tant que vibration. Les poses (āsana) de yoga ne sont qu’un prétexte, une méditation en mouvement pour pressentir la tranquillité qui peut s’élargir à tous les aspects de la vie. Cette pratique s’inscrit dans la tradition du Shivaïsme tantrique du Cachemire.
"Le corps est une expression de l’écoute, une expression du silence, une expression de la conscience ; il a sa patrie, sa potentialité dans la conscience, dans l’écoute. En un certain sens c’est une boussole, il vous ramène à votre vraie nature. C’est réellement une façon de découvrir cet amour très profond."
- Jean Klein
Le yoga selon la tradition du Cachemire est une approche corporelle qui a été amenée par Jean Klein dans les années 60 en occident. Aujourd’hui c’est Eric Baret qui représente et transmet magnifiquement cet art.
La pratique du yoga que nous connaissons habituellement en occident est basée sur une philosophie de développement progressif par des pratiques ascétiques liées aux textes de Yoga Sutra de Patanjali. Ces pratiques ne sont le plus souvent pas adaptées à une vie quotidienne occidentale. C’est la raison pour laquelle certains "yoga" se sont totalement occidentalisés jusqu’à se réduire à une gymnastique spiritualisée.
Dans l’approche corporelle selon la tradition du Shivaïsme du Cachemire, nous nous basons au contraire sur un corpus de textes nés des écoles du moyen âge cachemirien entre VIIIème et XIVème siècle. Un de ces grands textes c’est le Vijñāna-Bhairava-Tantra.
"On ne doit pas fixer la pensée dans la douleur ni la gaspiller dans le bonheur, O Bhairavī ! Veuille connaître (toute chose) au milieu (des extrêmes). Eh quoi ! la Réalité (seule) subsiste." - Vijñāna-Bhairava-Tantra
Avec cette pratique nous ne sommes plus dans une voie ascétique et progressive vers la "réalisation", normalement difficilement compatible dans son entièreté avec une vie occidentale. La pratique dont nous parlons ici se sert des postures de yoga comme un champs d’exploration et d’observation de nos limites, de notre fonctionnement qui se transpose par la suite dans la vie quotidienne.
Dans cette pratique nous ne cherchons donc pas à atteindre un but tel qu’être plus en forme, devenir plus souple, perdre du poids, devenir plus musclé, ou bien apprendre à se détendre, voir même atteindre la réalisation. Cela n’empêche pas que par certaines prises de conscience, par la pratique en tant que célébration, ces aspects physiques puissent être des effets secondaires de la pratique. Le yoga du Cachemire peut être considéré comme un art, car nous ne sommes point dans une notion d’utilité, de "tendre vers". L’effort et le progrès vers un but défini, vers un idéal à la recherche d’une réussite quelconque y sont absents.
"L'état méditatif, notre vraie nature, n'en est pas un à proprement parler, il est là substance, le support même de tout état, d'où rien ne s'anticipe, ne se projette, où il n'existe aucune tension vers un but, un résultat. Étant toute présence silencieuse, il n'est ni intérieur, ni extérieur, il est non localisé physiquement ou psychiquement, hors de l'espace et du temps, il est Être."
- Jean Klein
Le cœur de cette pratique c’est l’écoute. Nous nous servons des mouvements, de poses et de demi-poses pour être à l’écoute des sensations tactiles du corps. Celui-ci est la majorité du temps un agglomérat de tensions dûes à nos mécanismes de défense qui se traduisent en contractions, en opacité des zones qui s’imposent plus que d’autres.
Quand nous nous installons sur notre tapis, c’est pour célébrer cette écoute. Nous laissons le corps être ce qu’il est, sans aucune intention de le changer. La posture sert à prendre conscience des tensions et des limites présentes qui empêchent notre corps de fonctionner librement. Nous ne cherchons jamais à aller plus loin que nos limites. La majorité du temps nous gardons les yeux fermés, ce que fait notre voisin ne nous concerne pas. Dans cette disponibilité nous laissons venir ce qui s’impose dans l’instant, nous écoutons. Nous ne nourrissons donc plus des réactions, nous ne sommes plus complices de nos tensions.
Ce sont justement les restrictions présentes, ces limites ressenties qui pointent vers le sans-limite. Nous observons en même temps notre fonctionnement psychologique. Est-ce que par exemple nous sommes en train de tenir une épaule, une hanche ? Est-ce que nous sommes constamment en train de vouloir dépasser nos limites, aller plus loin ?
Le retour lent de la pose est toujours aussi important que la pose elle-même. Après le retour nous restons dans le ressenti, nous laissons le corps se vider. Chaque pose née du silence retourne au silence. Le travail du souffle accompagne toujours la pratique.
Ce n’est donc pas vouloir changer le corps qui amène la liberté du corps, mais l’écouter. Sans aucune attente, ni volition, c’est le déploiement de l’écoute qui révèle le corps en tant que vibration. Nous nous donnons totalement à cette vibration qui peut rester présente dans la vie de tous les jours. En réalité les poses de yoga ne sont qu’un prétexte, une méditation en mouvement, une célébration, pour pressentir cette tranquillité qui peut s’élargir à tous les aspects de la vie. Nous pouvons alors sentir les tensions, sans être tendus. Nous devenons disponibles à nos réactions psychologiques et à nos agitations au quotidien.
"On ne cherche pas à se libérer d'une émotion lors d'une pose, mais à devenir totalement à l'écoute, totalement neutre, avec la tension, avec la détente. Quand on est complètement à l'écoute dans une pose, avec la tension, avec la détente, sans aucun choix, cette tension, cette détente, que l'on laisse libre, se transposent dans la vie affective et on rencontre une émotion de façon neutre, sans bruit, sans nom et on la laisse vivre tactilement."
- Eric Baret
En gardant cette attention sans demande, cette disponibilité tranquille et sans commentaire, nous devenons conscients de l’écoute elle-même. Le yoga du cachemire est un art de l’écoute, un art du remerciement.
"Le yoga, c'est une tradition. Le yoga, indépendamment d'une tradition, cela n'existe pas. C'est une caricature. Une pose, c'est un événement extraordinaire. Il faut bien comprendre que ce n'est pas une personne qui fait du yoga. Cela ne veut rien dire. Quand, le matin, dans votre chambre, vous vous livrez au pranayama, et que les poses s'expriment dans votre corps, il n'y a rien de personnel. C'est tout l'environnement qui participe à cela. Vous rejoignez les cycles de la création. Vous rejoignez la sève, le matin, qui monte dans les arbres. Vous rejoignez les différentes espèces animales, végétales et ce qui est au-delà de l'humain. Vous intégrez votre rôle dans la création. C'est un événement cosmique, une pose de yoga, un pranayama. Vous ne faites pas cela parce qu'après vous vous sentirez mieux ou parce que vous allez mieux dormir, etc. Cela n'a absolument rien à voir. C'est uniquement un sacrifice. C'est une offrande. C'est gratuit."
- Éric Baret
"Quand l'image du
corps s'est éliminée, que reste-t-il ?" -EB